vendredi 27 décembre 2013

Révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : trois ans après, nous sommes encore au commencement, par Joseph Daher*, journaliste, membre de la Gauche Révolutionnaire syrienne


Depuis trois ans, à l’approche de la date anniversaire du début du soulèvement populaire tunisien – le 17 décembre 2010 –, la même question revient: quel bilan tirer des révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord? 

La réponse est différente selon l’approche analytique adoptée. Certains n’ont vu que des mobilisations pour la démocratie, d’autres des contestations pour plus de justice sociale ou contre la cherté des produits alimentaires de base, tandis que d’autres encore ont réduit ces évènements à des combats géopolitiques régionaux et internationaux dans lesquels les mouvements populaires n’étaient que des instruments aux mains de certaines puissances. 


Quant aux analyses politico-médiatiques dominantes, elles séparent les raisons sous-jacentes de ces mobilisations, notamment les enjeux démocratiques et sociaux – en d’autres termes la question de l’autoritarisme et du capitalisme –, se privant par là d’un examen approfondi des mouvements populaires et de leur dynamisme jusqu’à aujourd’hui. 

La plupart des médias dominants sont par exemple incapables d’expliquer les raisons de la poursuite des révolutions en Egypte, Tunisie, et Syrie, quand ils ne les réduisent pas à des dichotomies simplistes du type islamistes versus laïcs. Ce qui nous intéresse ici est la déconstruction de la thèse de l’opposition des blocs géopolitiques, qui reste fortement dominante dans certains milieux de gauche. Cette analyse les pousse à ignorer les dynamiques du processus révolutionnaire et à rester muets lorsque des grandes puissances soi-disant viscéralement opposées collaborent sur différents thèmes. Le récent rapprochement entre l’Iran et les Etats-Unis en est un parfait exemple et a démontré une fois de plus la futilité du raisonnement de ces secteurs de la gauche lorsqu’ils considèrent la Russie et l’Iran comme un bloc anti-impérialiste. Les puissances impérialistes mondiales et les puissances régionales bourgeoises, en dépit de leur rivalité, ont un intérêt commun dans la défaite des révolutions populaires; l’exemple le plus patent est celui de la Syrie. 

La conférence de Genève 2, soutenue par toutes les puissances sans exception, a en effet les mêmes objectifs que les précédentes conférences dites de «paix»: parvenir à un accord entre le régime d’Assad et une section de l’opposition bourgeoise et opportuniste, liée à l’Occident et aux monarchies du Golfe. 

Cette fois, la différence notable est que Genève 2 se prépare sur fond de rapprochement entre les Etats-Unis et la République islamique d’Iran sur la question nucléaire, renforçant encore davantage la volonté des deux régimes de mettre fin au processus révolutionnaire syrien en prenant en compte leurs intérêts respectifs. En même temps, le Conseil de coopération du Golfe (CCG), composé de l’Arabie saoudite, du Koweït, du Qatar, de Bahreïn, des Emirats arabes unis et d’Oman, a publié une déclaration, le 28 novembre 2013, affirmant l’importance de renforcer le soutien international à la Coalition nationale, qu’il considère comme le seul représentant légitime de l’opposition syrienne pour la conférence de Genève 2. 

En fait, les rivalités impérialistes à l’échelle mondiale entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie ou, au plan régional, entre l’Iran et les monarchies du Golfe ne sont pas impossibles à surmonter lorsque leurs intérêts sont en jeu et que les relations d’interdépendance pèsent de tout leur poids. D’ailleurs, le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, s’est rendu début décembre dans quatre des pays du CCG (Emirats, Oman, Qatar et Koweït) après la signature de l’accord de Genève, tandis que les dirigeants du CCG ont salué la nouvelle orientation de l’Iran à leur égard et accueilli favorablement «l’accord sur le nucléaire conclu en novembre à Genève entre les grandes puissances et l’Iran». Tous ces régimes sont des pouvoirs bourgeois et autoritaires qui sont et seront toujours des ennemis des révolutions populaires, uniquement intéressés par un contexte politique stable qui leur permette de développer leur capital politique et économique au mépris des classes populaires. 

Aucune puissance régionale et internationale n’est l’amie des révolutions populaires, mais seules les classes populaires sont en lutte dans le monde. Aucune solution ne pourra être atteinte dans les pays en proie à des mobilisations populaires importantes tant que les enjeux démocratiques et sociaux ne sont pas traités ensemble. En d’autres termes, les demandes sociales ne peuvent être séparées des revendications démocratiques ni leur être subordonnées. Elles sont indissociables et c’est pour cette raison que les mouvements populaires se sont opposés à la fois aux représentants des anciens régimes et aux islamistes. N’enterrons pas les processus révolutionnaires, ils sont loin d’avoir dit leur dernier mot... Nous sommes encore, d’une certaine manière, au commencement d’un processus long et non linéaire. 

* Chercheur doctorant à la School of Oriental and African Studies (SOAS), Londres.

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